L'or rouge
Safranerie
Il est de ses richesses sur notre sol qui savent se faire discrètes. Plantées sous nos yeux, on ne les voit pas. Elles décident de sortir de terre le temps d’un court instant. Gare à celui qui ne prête pas l’œil, lui filera sous le nez un précieux butin. Un butin convoité par l’épicurien, le chef averti ou l’orpailleur de fleurs. Cette fleur s’appelle le Crocus Sativus. C’est elle qui produit le célèbre pistil appelé Safran.
Fleur à la saveur emblématique, on l’associe peu au terroir de l’Alsace. Pourtant, cette fleur poussait déjà bel et bien en Alsace au Moyen-Age et que nombreuses furent, en Suisse, les corporations dites « du Safran » à faire fortune sur l’épice. Nous sommes là au XIVe siècle et avant. Tradition perdue au fur et à mesure des siècles, Hervé s’échine à y faire jaillir à nouveau ce précieux pistil sur son parterre alsacien. Un projet de vie qui mérite un détour par les Safrans du Château, son lieu de vie, là où se cultive un savoir-faire unique.
La fleur délicate
D’abord sa couleur. D’un rouge carmin pour son pistil, et d’un mauve délicat pour ses pétales. Puis son élégante fragilité. Fleur fine et légère, elle ne dépasse pas 3 pouces, et se love au milieu des herbes. Mais ne vous fiez pas aux apparences. Son apparente fragilité cache en réalité une redoutable robustesse. Cette fleur est capable de résister à un large spectre de température jusqu’aux gelées matinales.
Cultivées en large quantité à l’étranger, principalement dans les pays orientaux, les safranières françaises sont rares. Il faut dire que la culture du Safran demande beaucoup de temps et d’investissement. Il faut en connaître tous les secrets afin d’en exprimer toutes ses qualités gustatives et médicinales.
Hervé nous le rappelle « il ne suffit pas de planter du safran pour produire du safran. Cela demande du temps, de l’expérimentation et in fine de l’expérience pour obtenir un produit de qualité ».
Le safran a toujours été là, accompagnant par ses bienfaits les civilisations, les générations. Tant pour ses propriétés savoureuses que pour ses vertus d’antioxydants. Mais peu de monde se lance dans sa culture de manière sérieuse et engagée. Cela a ainsi renforcé la rareté du produit tout en haussant sa qualité. Désormais, la plante est cueillie exclusivement par un cercle réduit de véritables passionnés. Hervé a Guémar dans le Haut-Rhin, en fait indéniablement parti.
Les Safrans du Château
Hervé Barbisan passionné par les plantes, les épices en général et le safran en particulier, possède plusieurs safranières. Un temps vigneron, puis Safranier, l’homme est attaché à la terre. C’est aussi un voyageur. Istanbul, Bombay, Kaboul, Singapour… Hervé a parcouru l’orient, à la quête du savoir de cette épice. C’est au retour de tous ces voyages que cette belle aventure commence, en 2006. En compagnie de Carole Scandella, il est désormais à la tête d’une des plus grandes safranières de France. Sur des parcelles judicieusement sélectionnées, il a planté ses premiers bulbes de Crocus Sativus. Lentement, mais surement, il développe sa production. Aujourd’hui, c’est 2 ha répartis sur 3 sites qui donnent de belles récoltes.
La terre lui a rendu sa patience et son engagement. Voilà sans doute comment est né le « Safran du Château »… Une histoire de passion, de nombreux voyages pour s’ouvrir l’esprit et une quête profonde pour le respect de la terre. En résulte de nombreux produits issus de ses cultures : liqueurs, pistils séchés, rhum au safran, gin au safran… Hervé maîtrise les qualités gustatives de sa fleur, de sa production jusqu’à l’alambic en passant par toutes les étapes de production (séchage, distillation…).
Un travail minutieux
Songez que seulement 50 Kilos en moyenne de cette précieuse épice sont produits en France. Songez qu’il faut 200 fleurs pour produire un gramme. Songez qu’il faut environ 200 000 fleurs de Crocus pour produire 1kg de Safran sec. Une sinécure qui peut en rebuter plus d’un. Surtout que cette fleur exige de la patience, de la minutie et de la délicatesse. Toute machine est donc à proscrire. De la plantation à la récolte, c’est un travail manuel exclusivement. Conditions sine qua non pour pouvoir la cueillir sans l’abîmer. Un rythme manuel, sans machine qui nous rappelle une forme d’agriculture sobre, sans artifice ou la main est au cœur de tout et en contact direct avec la fleur.
La culture des plantes se fait ainsi au plus près de la nature, sans artifices, sans chimie, dans le strict respect du vivant avec un labour léger et en surface. Les récoltes sont ensuite préparées et conditionnées dans le même état d’esprit pour délivrer un produit pur, de sa plantation à son conditionnement. Toujours dans un souci de préservation du goût et de valorisation de ses propriétés (médicinales, antioxydantes..) C’est là tout le précieux savoir-faire de Hervé.
Un trésor bien gardé
C’est entre octobre et novembre que l’on s’active pour faire pousser et récolter le safran. C’est donc à cette période que je me suis rendu aux Safrans du Château. Hervé a eu la gentillesse de m’amener sur ces champs de Safran. Je m’attendais alors à des parterres de mauve à perte de vue. A un endroit secret gardé, loin de tout accès afin de protéger son trésor…rien de tout ça. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque nous arrivions à ses champs de safran. Un grand champ d’herbe vide, au bord d’une départementale entre deux champs de maïs.
« Mais tu te moques de moi ? Il n’y a rien dans ce champ » lui dis je.
« En réalité, le safran est là sous tes yeux, mais tu ne sais pas le voir. Observe bien, portes-y plus d’attention. » Me répondit Hervé.
Et en effet, le safran était bien la, mais impossible pour moi de le déceler. Comme les champignons, la nature ne dévoile ses trésors qu’à celui qui sait vraiment l’observer.
Pour cela Hervé a l’œil comme personne, et une technique bien à lui pour le voir et sentir le bon timing. « En général, j’ai une idée précise du moment de leur sortie de terre, pour m’en assurer je viens la veille, je me baisse à ras du sol et observe les tiges sorties des bulbes du Crocus caché sous les herbes. Selon leur maturité, je sais si la fleur va pointer son nez à l’aube ou pas».
Et ça n’a pas raté, le lendemain à l’aube, dans ce même champ, le Crocus avait décidé de livrer ses trésors. Ce champ vide la veille avait vu sortir dans la nuit une infinité de fleurs mauves, prête à être récolté.
Comble de sa rareté, cette fleur a donc la particularité de ne sortir de terre que dans un laps de temps très réduit. Sa floraison éphémère (48h pour chaque fleur) impose d’être attentif, afin de ne pas rater la moisson de pistils rouge. Là où réside toute sa puissance gustative. Rien ne sert de dissimuler jalousement son trésor donc, cette fleur sait se faire discrète d’elle-même.